Copier-coller des propos d'un pasteur sur les conflits d'Israël pasteur René Lamey Strasbourg le 31 juillet 2006
Les guerres cesseraient certainement assez vite si les hommes voyaient la gloire de Dieu dans les yeux de ceux qu'ils combattent. Evidemment, les choses sont peut-être plus compliquées ; n'empêche : très souvent, les guerres ont leur origine dans le mépris de l'autre, de l'autre homme, peuple ou nation. Ce mépris est ensuite entretenu et gonflé par les générations suivantes.
Dans l'actuel conflit israélo-palestinien, il y a beaucoup de mépris de part et d'autre. Un mépris qui remonte loin dans le temps et dont on sent toute la profondeur - et toute l'inutilité - dans le récit que voici. « Rester dans le mépris ou en briser les barrières » tel pourrait être le titre de ma prédication.
Jésus se rendit dans la région de Tyr et de Sidon. Et voilà qu'une femme cananéenne, qui habitait là, vint vers lui et se mit à crier :
- Seigneur, Fils de David, aie pitié de moi ! Ma fille est sous l'emprise d'un démon qui la tourmente cruellement.
Mais Jésus ne lui répondit pas un mot. Ses disciples s'approchèrent de lui et lui dirent :
- Renvoie-la, car elle ne cesse de nous suivre en criant.
Ce à quoi il répondit :
- Ma mission se limite aux brebis perdues du peuple d'Israël.
Mais la femme vint se prosterner devant lui en disant :
- Seigneur, viens à mon secours !
Il lui répondit :
- Il ne serait pas juste de prendre le pain des enfants de la maison pour le jeter aux petits chiens.
- C'est vrai, Seigneur, reprit-elle, et pourtant les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres.
Alors Jésus dit :
- O femme, ta foi est grande ! Qu'il en soit donc comme tu le veux !
Et, sur l'heure, sa fille fut guérie. Matthieu 15.21-28
1 Avant de parler de l'attitude un peu bizarre de Jésus, faisons un peu plus connaissance avec cette mère en souffrance. Qui est-elle ? Qu'a-t-elle fait ou dit de travers pour mériter pareil traitement ?
La réponse est dans le texte. Cette femme est une païenne, et qui plus est, une cananéenne, ce qui ne peut qu'aggraver son cas : elle est une descendante des Cananéens, peuple barbare, idolâtre, un peuple qui a longtemps été l'ennemi juré des Israélites.
A l'époque de Jésus, tout cela, c'est du passé, mais le passé, malheureusement, ça ne s'oublie pas si facilement ; les racines d'amertume et de mépris restent longtemps plantées dans les coeurs.
Cette femme est une païenne méprisée à laquelle on ne parle pas, mais elle sait qui est devant elle. Elle a dû entendre parler de Jésus, c'est un maître, un rabbin, une personne qui a de l'autorité, elle dit « Seigneur ». Elle sait aussi les espérances et les attentes messianiques du peuple juif, elle nomme Jésus « Fils de David ». Elle n'en sait pas plus, mais elle en sait assez, et ce qu'elle sait - et là, elle peut déjà être un exemple pour nous - elle le met en pratique. Elle n'a pas attendu d'avoir un cours de théologie, elle n'a jamais rencontré Jésus auparavant, elle sait aussi que ça ne fait pas d'apostropher un homme dans la rue, et de crier comme elle le fait devant tout le monde, mais tout cela, ça n'a pas d'importance, elle se jette malgré tout aux pieds de Jésus.
Tout cela n'a pas d'importance, car il y a urgence : sa fille souffre horriblement, et la maman aussi, peut-être pas physiquement, mais dans son esprit, dans son coeur. La souffrance des êtres proches, de ceux qu'on aime nous fait souffrir aussi ; cette souffrance nous pousse à chercher des solutions.
L'amour peut faire de grandes, des choses qu'on n'aurait jamais pu faire, s'il n'y a avait cette urgence, l'urgence de l'amour, v. 22 :
Seigneur, Fils de David, aie pitié de moi ! Ma fille est sous l'emprise d'un démon qui la tourmente cruellement.
2 Comment Jésus réagit-il ?
Il ne dit rien, il ne fait rien, aucune réaction ! Il reste de marbre, insensible à l'appel au secours ! Jésus continue son chemin comme si rien ne s'était passé.
C'est tout bonnement incompréhensible, on n'en croit pas nos yeux ! Ce n'est pas comme ça que nous connaissons Jésus ! Lui qui, dans les évangiles, est toujours proche de ceux qui souffrent, lui qui, dans tous les récits, exauce toutes les demandes de guérison !
Pourquoi ce silence, pourquoi cette inaction ?
- juste pour voir comment cette femme réagirait ou pour la mettre à l'épreuve ? Pour voir si sa foi est bien réelle ? Non, ça serait trop dur, trop cruel !
- ou parce que Jésus est pris au dépourvu et qu'il ne sait pas trop comment répondre ?
On ne comprend pas - les disciples eux-mêmes ne comprennent l'attitude de Jésus, une attitude que l'on croit froide, fière, hautaine et fermée.
Les disciples sont exaspérés par les cris de cette pauvre femme. Ils ne savent pas quoi faire, ils reprochent à Jésus son inaction, ils le lui font savoir d'ailleurs :
- Maître, réponds donc, fais quelque chose, renvoie-là chez elle, qu'on en finisse ! Elle ne va tout de même pas nous suivre durant des heures, on en a marre de ses cris !
Jésus finit par répondre, mais sa réponse ne nous aide pas plus, en tout cas à première vue :
- Ma mission se limite aux brebis perdues du peuple d'Israël.
Voilà la raison de son silence, de son inaction : il a d'abord été envoyé vers les siens.
Cette réponse nous paraît tout aussi incompréhensible que son silence, elle nous semble même très injuste !
Jésus refuse d'écouter et de soulager cette femme parce qu'elle n'est pas juive ? Allons donc ! Jésus ferait-il des différences entre les gens, entre les juifs et les païens ? Jésus serait-il raciste, membre d'un parti d'extrême-droite ? Une telle attitude tout simplement parce que cette femme et de race et de religion différente ?
Pour mieux comprendre la réaction et l'attitude de Jésus, il nous faut nous replacer dans le contexte de l'époque, dans la mentalité et la pensée de l'époque.
Une mentalité très exclusive, très chauviniste, très nationaliste. Dans cette mentalité-là, Jésus a parfaitement raison de réagir comme il l'a fait : en faisant des Israélites le principal objet de sa venue, Jésus accomplissait ni plus ni moins les attentes et promesses de l'Ancien Testament concernant Israël.
Et si l'on suit le même raisonnement, s'il l'on reste dans cette mentalité, on doit dire que cette femme n'a aucun droit, qu'elle ne mérite rien, ni guérison, ni salut, rien ; c'est une païenne, elle n'a aucune part aux promesses et à l'alliance de Dieu, point final !
Oui, mais ça, c'est la pensée de l'époque, des hommes de cette époque, c'est la conviction de la religion et du nationalisme juif de l'époque (mais qui existe encore à l'heure actuelle en Israël, mais aussi dans tous les pays où la religion devient la possession des fanatiques), c'est donc la mentalité fermée et exclusive de l'époque, mais Jésus, lui, va casser tout ça. Dans un premier temps, il semble entrer dans cette mentalité orgueilleuse nationaliste, mais c'est pour en montrer les limites, et c'est surtout pour dépasser cette façon arriérée de voir les choses, la dépasser en brisant les barrières raciales, religieuses et sociales.
Son silence d'abord et ses paroles de rejet ensuite montrent aux disciples et à tout lecteur de l'Évangile combien ces barrières sont cruelles et injustes et que nous avons à les dénoncer et à les dépasser.
Et pour dépasser ces barrières, il en faut du courage, de la persévérance et de la foi ! Et cette femme cananéenne semble bien posséder ces qualités !
Elle ne se laisse pas démonter par les paroles de Jésus, elle revient à la charge, elle sent, elle sait au fond d'elle-même que Jésus ne correspond pas ou qu'il ne peut pas correspondre à l'image qu'il semble donner à travers son attitude a priori hautaine.
Son intuition est juste, car Jésus s'arrête. Elle se prosterne devant lui, et lui redit sa souffrance.
Jésus va exaucer sa prière, c'est sûr, mais il lui donne d'abord une réponse qui nous semble tout aussi mystérieuse que la première :
- Il ne serait pas juste de prendre le pain des enfants de la maison pour le jeter aux petits chiens.
Cette parole n'est pas un refus supplémentaire, ni un obstacle de plus, mais une ouverture, une main tendue. Jésus a dû regarder cette femme, et dans ce regard échangé, il s'est passé quelque chose. Quelque chose de l'ordre de la complicité amicale. Jésus a vu qu'elle avait saisi ce qu'il voulait lui faire comprendre à travers ses paroles.
« Il ne serait pas juste » selon la Loi religieuse des hommes, oui, pas selon Jésus.
Cette histoire de petits chiens et de miettes se comprend mieux quand on sait que, en langage imagé, les enfants représentent les peuple juif et que les chiens, terme méprisant au possible, ce sont les païens.
D'ailleurs, Jésus nuance un peu : il dit : « Les petits chiens. » C'est une nuance pleine d'humour et de tendresse à l'égard de cette femme.
Elle comprend très vite la subtilité des paroles de Jésus et elle se raccroche à cette main tendue :
- C'est vrai, Seigneur, et pourtant les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres.
Jésus est admiratif : O femme, ta confiance est grande !
Grande parce qu'elle a su persévérer malgré l'apparente rudesse de Jésus, grande parce qu'elle a tout placé, tout misé sur Jésus !
Mais on pourrait dire que son humilité est grande aussi. Au travers de ses paroles, elle reconnaît qu'elle est païenne, et qu'en principe, aux yeux des hommes du moins, elle n'avait effectivement aucun droit et rien à attendre.
Et c'est justement pour cela que Jésus répond à sa demande : parce qu'elle n'avait humainement et religieusement aucun droit, aucune possibilité d'être entendue et exaucée.
Ceux qui savent qu'ils n'ont rien à faire valoir, ceux qui n'ont aucun mérite à présenter, ceux qui viennent les mains vides, eh bien c'est justement ceux-là que Jésus accueille, d'où qu'ils viennent, quoi qu'ils aient faitŠ
Ce récit, pour nous un peu incompréhensible et dérangeant à cause de l'apparente dureté de Jésus, est, pour l'époque, une bombe jetée dans la mare du nationalisme religieux juif de ce temps comme de tous les fondamentalismes religieux et politiques de tout pays et de tout temps : même les païens - les étrangers, les autres, ont droit à l'exaucement et au salut. Quel scandale pour les Juifs de l'époque, mais quelle bonne nouvelle pour tous les païens exclu de la grâce. Une bonne nouvelle qui n'a pas fait que des amis à Jésus, au contraire.
Et si Jésus nous semble un peu rude et sans coeur, ce n'est que :
1. pour mieux révéler notre propre dureté, notre propre fermeture aux autres,
2. mieux mettre en évidence les multiples barrières de mépris que nous élevons entre les hommes et entre les peuples
3. pour nous encourager à discerner, à dénoncer et à franchir ces barrières - avec le même courage que Jésus, et avec la même persévérance, la même ténacité dont cette femme a fait preuve.
Sa récompense : la guérison de sa fille.
Notre récompense : la guérison des relations, la réconciliation des peuples, moins de mépris et de préjugés et plus d'accueil et d'ouverture.
Puissent les attitudes de Jésus et de cette femme stimuler notre foi et nous faire aller de l'avant : il y a encore tant de barrières à dépasser !